Le titre est, bien entendu, inspiré par Althusser (“Lire Le Capital”) – mais de façon polémique. Par “lire Marx” j'entends lire Marx et non pas Engels, Mao, Gramsci, Lukács, Marcuse, Althusser et ainsi de suite. En d'autres termes : le but de ce cours est, avant tout, de délibérément désintriquer la pensée de Marx de la pensée marxiste. Une polémique avec certains marxistes sera ainsi menée en sous-main, par des allusions ponctuelles. Un tel programme véhicule trois implications majeures : Qu'il y a effectivement une différence de pensée entre Marx et le marxisme. Ce premier point sera établi à travers une lecture philosophique de Marx : l'hypothèse étant que ce qui se trouve de plus original dans Marx, ce n'est ni sa pensée politique, ni sa pensée sociologique ou économique, mais bien sa charpente philosophique. Cette charpente philosophique détermine et situe ses autres théories. La seconde implication, c'est qu'un clivage entre Marx et les marxistes existe comme tel, qu'il peut être défini par certaines caractéristiques générales, et que ces caractéristiques générales différent de la pensée originale de Marx ou la restreignent. Il s'agit là d'un sujet passablement complexe, voire compliqué ; mais on peut résumer ce clivage en disant que le marxisme
a surtout retenu de Marx les éléments utiles à l'action politique dans une situation donnée, urgente. Une théorie de la “praxis révolutionnaire” a donc pris la place de la philosophie. La troisième implication est la précompréhension qui préside à l'approche du texte. Un texte est quelque chose d'imprimé : il représente comme tel un objet clos, constitué, fini. Mais nous n'en obtiendrons de réponses décisives que si nous le soumettons à des questions décisives. Et la question décisive que soulèvent les marxistes, c'est l'urgence d'une situation révolutionnaire (qu'elle existe de fait ou doive être réalisée). Leur question est donc généralement homothétique à celle de Lénine : “Que faire ?” C'est la question de ceux qu'Althusser appelle les “intellectuels militants” (pour Marx 24), et qui participent directement aux luttes de la classe ouvrière. Une telle “ lecture” de Marx est stratégique. Or, je tiens que la lecture stratégique ne peut que rester aveugle, de par sa nature même, au questionnement philosophique. Notre précompréhension des textes de Marx n'a, par conséquent, rien de stratégique ; elle est bien plutôt qu'ils proposent une réponse à la plus ancienne question de la philosophie occidentale : ti to on, savoir : qu'est-ce que l'être ? ou : qu'est-ce que la réalité, ainsi que son corollaire : qu'est-ce que la vérité ? Donc : Marx versus marxisme ; le concept de “praxis” comme étant le concept différenciant Marx du marxisme ; une double théorie des textes. Développons plus avant ces trois points